Fernando Belasteguín
« Jouer chaque match comme si c'était le dernier ! »



Véritable légende du padel mondial, surnommé parfois le « Federer du padel », Fernando Belasteguín, alias Bela, est le détenteur d’un record qui sera très difficile à battre : celui de passer 16 années consécutives en tête du classement mondial. Il nous ouvre ses portes et revient sur une carrière riche en événements et anecdotes.
Quand avez-vous mis les pieds pour la première fois sur une piste de Padel ?
J’avais 10 ans, c’était au Club Atlético General de San Martín de Pehuajó, ma ville natale, qui compte environ 35 000 habitants et se situe à 365 kilomètres de Buenos Aires. Je jouais comme beaucoup au football quand, en 1989, la toute première piste de padel de la ville a été installée. Il y avait déjà beaucoup de clubs à Buenos Aires à l’époque, mais dans les petites villes, ce sport n'était pas encore répandu. J'ai fait mon premier tournoi à 11 ou 12 ans et je suis passé professionnel à 15. Tout est allé très vite !
Comment avez-vous connu Matí Díaz, votre premier partenaire chez les pros ?
J'ai commencé à jouer avec Godo pendant un an, puis avec Matí pendant les cinq années suivantes. Leur père, Roberto, m'avait vu jouer pour la première fois en 1993. Il m'a alors proposé de venir m'entraîner durant la présaison dans son centre de haut niveau à Buenos Aires. J'en mourais d'envie, mais mes parents n'avaient pas les moyens de me payer le logement dans la capitale. Roberto et sa femme Teresa n'ont pas hésité une seconde. Ils ont tout de suite proposé de m'héberger gratuitement. Je le dis toujours : sans la famille Díaz, je ne serais pas joueur de padel professionnel aujourd'hui. Je leur serai éternellement reconnaissant.
Jouer à cette époque ne devait pas être simple…
Je devais prendre le bus tous les vendredis pour aller sur Buenos Aires et le lundi matin, je repartais vers Pehuajó pour aller à l'école. Je n'avais pas de passe-droit, ma mère m'avait clairement fait comprendre que si cela ne se passait pas bien à l'école, le padel, c’était fini… Mais cela valait le coup. Avec Godo, on a connu une année incroyable, on ne faisait que gagner. L'année d'après, je suis monté de catégorie et je me suis mis à jouer chez les professionnels avec Matí, qui a un an de plus que moi. Nous avons réussi à être la 5e paire Argentine alors que nous n’avions que 17 et 18 ans, puis nous avons commencé à jouer des tournois en Espagne où le padel était en plein essor à la fin des années 1990.
« J'ai décidé d'arrêter le padel »
Le padel a pourtant été professionnel en Argentine avant de l'être en Espagne.
Oui, dès les années 1990. Il y avait de la ferveur chez les fans, des tournois tous les week-ends, on pouvait jouer devant 5000 ou 6000 personnes ! C'était incroyable d'affronter à seulement quinze ans les meilleurs joueurs du monde dans de telles conditions, même si ce n'était pas facile pour nous qui débutions à ce niveau. Il fallait de l'argent pour pouvoir voyager et nos parents ont dû faire d'énormes sacrifices pour nous permettre de nous rendre sur les tournois. Je me souviens d'une fois au Brésil où je m'étais retrouvé à vendre des raquettes de mon sponsor dans les gradins pour me payer la semaine à l'hôtel. Nous avions perdu au premier tour (contre les numéros 1 de l'époque, Alejandro Lasaigues et Roby Gattiker), nous n'allions donc pas avoir de prizemoney !
Impensable aujourd'hui au vu de votre carrière, vous avez décidé d'arrêter le padelen 1999…
Ça peut sembler fou, oui. Non seulement nous ne vivions pas du padel à l'époque, mais cela nous coûtait de l'argent. Et j'ai commencé à être épuisé de toutes ces années de sacrifices. Nous devions voyager très souvent en voiture car nous n'avions pas les moyens de nous payer d’autre moyen de transport. Nous arrivions déjà fatigués aux tournois. Même si je pense que tout cela nous a endurcis, à un moment, j'en ai eu assez. J'étais inscrit à l'université d’Économie et j'avais du mal à concilier padel et études. J'ai donc décidé d'arrêter le padel et de reprendre le football dans mon club de toujours. Mon choix a été très bien accueilli par mes parents. J'ai repris goût à ces moments de tranquillité avec mes amis et ma famille, sans tous ces voyages que le padel nous demandait.
Puis un certain Roby vous a appelé…
Exactement ! Alors que je n'y attends pas du tout, le numéro 1 de l'époque, Roby Gattiker, m'appelle pour me demander de jouer avec lui, en Argentine et en Espagne. Je n'y crois pas, mais je ne peux pas dire non à cette légende du padel, mon idole de jeunesse, même si cela implique de passer à droite puisque Roby et moi jouons tous les deux à gauche. Au début je n'en mène pas large, mais heureusement, grâce au football, je suis en forme physiquement. Cela n’était pas facile de passer à droite, mais nous avons tout de même eu de bons résultats.
« Je voyais que mon corps ne supportait plus tout ce travail physique sur le court »
Vous prenez ensuite une décision difficile : partir vivre en Espagne, où se déroulent la majorité des tournois…
Je prends cette décision en 2001 pour m'allier à l'Espagnol Pablo Semprún. Nous décidons de jouer ensemble en Espagne, où a lieu une saison qui dure huit mois. C'est une décision très lourde, je dois arrêter mes études, vivre loin de mes amis, de ma famille. Mais en discutant avec mes parents, nous venons à la conclusion que je ne perds rien à tenter l'aventure un an. Pablo a la gentillesse de m'héberger jusqu'à ce que je trouve un appartement et cela nous permet de bien nous connaître. Nous nous entendons très bien en dehors de la piste et nous avons de bons résultats. Mais sur le terrain, c’est très dur. Puis un certain Juan Martín Díaz m'appelle et je prends la meilleure décision de ma carrière…
Avec Juan Martín, vous n'avez connu qu'une place, celle de numéros 1. Pourquoi avoir ensuite décidé de changer de partenaire alors que vous étiez encore la meilleure paire ?
Jouer toutes ces années avec Juan Martín Díaz, qui est pour moi le plus grand joueur de l'histoire du padel, a été un véritable honneur. Nous avons tout gagné pendant treize ans, mais les deux dernières années de notre collaboration ont été difficiles pour moi. Le style de jeu de Juan Martín faisait que je devais couvrir beaucoup de terrain sur la piste et mon corps n'a pas été épargné. J'ai été blessé au coude et aux deux pieds et j'ai commencé à me demander s'il n'était pas temps de nous séparer. Je voyais bien que mon corps ne pouvait plus supporter tout ce travail physique sur le court, même s'il m'a fallu du temps pour me l'avouer.
Qu'est-ce que cela fait de se séparer du joueur avec lequel on a partagé la piste pendant autant d'années ?
Cette décision fut longuement réfléchie car nos résultats étaient encore bons, et après treize ans à jouer avec la même personne, on devient presque comme un couple. Mais je voulais que l'on termine en étant numéros 1, on le méritait après toutes ces années.
Le moment venu, j’ai dû dire à Juan que je voulais mettre un terme à notre association. Ce fut extrêmement difficile, nous avions tellement de souvenirs ensemble… Mais avec du recul, j'ai eu raison de jouer avec Pablo Lima, avec qui j'ai pu continuer trois années durant à être à la première place.
« Ma volonté de me battre pour rester parmi les meilleurs est intacte »
Le padel a beaucoup évolué depuis vos débuts. Quel est selon vous le plus gros changement au cours des dernières années ?
J'ai tout connu : les murs en dur, le sol en ciment, le grillage en fil de fer, les raquettes en bois, j'ai vu toutes les évolutions du jeu, et je pense que le padel que l'on connaît aujourd'hui est bien différent de celui des débuts. Tous ces changements ont beaucoup impacté notre sport, mais je pense que le plus important fut le passage de la pala en bois à celle en gomme. Depuis quatre ou cinq ans, cela va de plus en plus vite, et je ne pense pas que cela soit près de s'arrêter !
Quelles sont vos manies avant d’entrer sur la piste ?
Avant un match, j'ai toujours trois palas avec moi. Et une fois que je les ai préparées, je ne laisse personne toucher mes raquettes, sous aucun prétexte. C'est quelque chose que je fais depuis longtemps. On peut appeler ça de la superstition. Quand je suis prêt, je m'isole pour commencer à me concentrer, à faire de la visualisation.
Comme vous le dites dans votre livre, vous vous levez tous les matins avec des douleurs depuis des années. Qu'est-ce qui vous motive encore à continuer à 43 ans ?
Ma motivation, c'est ma famille. Si un jour je suis fatigué et que je n'ai pas envie de m'entraîner, je me dis que je suis un ingrat. Mes parents ont fait trop de sacrifices. Il n'y a pas un tournoi, un titre, un prix qui compense toutes les absences aux anniversaires de mes enfants, tous ces moments en famille auxquels je n'ai pas pu participer. C'est pour ça que je donne tout ce que j'ai à chaque match, à chaque entraînement. Je crois avoir tellement affronté l’adversité qu'aujourd'hui ma volonté de me battre pour rester parmi les meilleurs est intacte. Je continue de m’entraîner comme si c'était la dernière fois, je joue chaque match comme si c'était le dernier. C'est ma façon de voir la vie, je ne pourrais pas me regarder dans une glace si je ne faisais pas cela.
Euro, la somme qu'a gagnée l'Argentin avec son livre Fernando Belasteguín : esta es mi historia, 16 años consecutivos siendo número 1 del mundo, qui en est aujourd'hui à sa 11e édition. La raison ? L’Argentin a souhaité que tous les bénéfices soient reversés à trois associations : la fondation infantile Ronald McDonald de Barcelone, la boulangerie El Futuro de Pehuajó, et l'école spéciale de padel Fernando Belasteguín.
Comme les années consécutives durant lesquelles Fernando Belasteguín a été numéro 1 mondial. Il a évolué durant les 13 premières années avec Juan Martín Díaz, et les 3 suivantes avec Pablo Lima.
Comme les années qui séparent Fernando Belasteguín de son partenaire actuel, le prodige Arturo Coello Manso.
La maxime de Bela :
« Jamais je ne gagnerai un match grâce à mon talent mais j'y parviendrai en exploitant au mieux les défauts de mes adversaires. »
Bela a débuté chez les pros avec Matí Díaz Sangiorgio. Il a ensuite connu plusieurs partenaires dont certaines légendes de ce sport : Alejandro Sanz, Roby Gattiker, Pablo Semprún… Il a ensuite partagé la piste durant treize années avec Juan Martín Díaz puis l'a quitté pour le Brésilien Pablo Lima, avec qui il a dominé le classement mondial jusqu'en 2018. Il a ensuite entrepris de s'allier à son jeune compatriote Agustín Tapia, avant de former une paire dont les fans rêvaient depuis des années avec le magicien Sanyo Gutiérrez. À la surprise générale, « Le Roi » a choisi de mettre fin à cette association en milieu de saison dernière pour s'associer au prodige gaucher Arturo Coello, avec qui il évolue à l'heure actuelle. Bela a réalisé une grande partie de sa carrière aux côtés de gauchers, puisque l'association « gaucher-droitier » est pour lui la plus efficace.
Après avoir été l’égérie de la marque autrichienne Head durant plus de dix ans, Fernando a décidé de signer en 2020 chez Wilson. Une collaboration prévue pour s'inscrire dans la durée avec la firme américaine, qui est aussi partenaire des clubs de padel de l'Argentin, les Bela Padel Center. Parmi ses anecdotes favorites, Fernando Belasteguín aime rappeler que Wilson a inscrit un petit détail sur les dragonnes de ses raquettes, la phrase « Un Belasteguín nunca se rinde » (un Belasteguín n'abandonne jamais), en hommage à un mot que lui avait écrit sa fille avant le WPT Master Final 2018, que Bela, qui revenait de blessure, avait remporté avec Lima.